Quatre filles et un jean, ou la désacralisation de la virginité dans la littérature pour ados

 

Attention. Cette article contient beaucoup de spoil. J’y dévoile aussi mon amour un peu honteux pour la littérature « jeunes adultes », qui bien sûr ne dépasse pas mon amour pour la littérature romantique du XIXe siècle, mais presque, donc ne vous moquez pas.

Je vous parle d’un livre que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : Quatre filles et un jean.

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Le mien est beaucoup plus usé.
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas (qui sont-ils ? quels sont leurs réseaux ?), cette quadrilogie (un cinquième tome, plus tardif, raconte l’histoire dix ans après, que je n’évoquerai pas dans cette analyse) raconte l’histoire de quatre filles (sans blague), plus précisément quatre amies, Carmen, Tibby, Bridget et Lena, qui se connaissent depuis la naissance, et même avant puisque leurs mères étaient amies au moment de leur grossesse. Elles sont toutes nées fin aout ou début septembre et ont toujours passé leurs étés ensemble… Jusqu’à ce fameux premier été. Cette année-là, Carmen part chez son père en Caroline du Nord (<3), Tibby reste à Bethesda, dans l’état de Washington, Bridget part en camp de foot à Bahia, Nouveau Mexique, et Lena va chez ses grands-parents, en Grèce. Afin de garder le contact tout au long de l’été, elles ont dégoté dans une friperie un jean, qu’elles considèrent comme magique parce qu’il va à chacune d’elle, les rend sexy, malgré leurs morphologies très différentes. Elles vont s’envoyer le jean pendant deux mois, et ce dernier sera le témoin des moments forts qu’elles vivront et qui changeront leur vie.

Bon alors ce livre est un bouquin à destination des adolescents, mais comme j’aime pas ce terme et que j’aime les bons bouquins pour adolescents, je dirais plutôt que c’est un livre à lire à partir de l’adolescence, même si j’ai lu le premier tome à 12 ans (cadeau de ma meilleure amie de l’époque alors que j’avais passé ma journée d’anniversaire à l’hôpital). J’ai dévoré le bouquin d’une traite.

Du coup, qui dit livre à destination des adolescents, et plus précisément des adolescentes (oui, l’industrie du livre aussi est sexiste, et j’ose espérer que des garçons ont aussi aimé ce livre) (fingers crossed), dit romance et amitié entre filles. Oui.

Oui, mais.

Je me surprends encore à conseiller ce bouquin à la majorité de mes ami-e-s de tous genres, même en sachant que ce n’est pas forcément leur type de livre, ou qu’ils n’aiment pas lire. Pourquoi ?

C’est ce que je vais développer dans cet article.

 

  1. Pourquoi c’est bien ?

Il y a plusieurs raisons qui font de Quatre filles… un bon livre, ce qui n’enlève pas qu’il y a également des points critiquables, sur lesquels je reviendrai. Tout d’abord, le style de l’auteure est agréable et personnel, ça se lit très bien et c’est un bouquin qu’il est difficile de lâcher. Je qualifierai le style d’Ann Brashares comme étant authentique. On a l’impression de connaître ses personnages comme si c’était nos propres amies, elles font des choix que n’importe qui pourrait avoir à faire. En soi, elle est crédible. Ses personnages ont une âme, ne sont pas stéréotypés ou trop parfaits. Et chacun est différent, avec un fonctionnement complexe. Ann Brashares ne dit pas « les filles sont comme ça », elle dit « il y a autant de style de filles que de filles sur terre », elle dit « une fille peut aimer le foot et c’est cool, une fille peut aimer la mode et le maquillage, et c’est cool aussi. »

Mais la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire sur ce livre, c’est que l’auteure a choisi de ne pas rendre la perte de la virginité de ses héroïnes comme quelque chose de sacré, et c’est bien.

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Je m’explique.

Ça veut dire quoi, sacraliser la virginité ?

C’est rendre le fait de coucher avec quelqu’un pour la première fois comme étant sacré, important, relevant d’un rite de passage. Beaucoup d’adolescentes et de femmes adultes pensent qu’il faut « attendre la bonne personne pour passer à l’acte pour la première fois ». Ce qui n’est pas un problème en soi. Ce qui en devient un, c’est l’idée qu’une fille qui perd sa virginité en dehors de cette condition est une salope/trainée/insérer ici un terme sexiste, ce qui entraine tout le slut-shaming crasse et dégueu que nous connaissons bien.

Que dit la littérature adolescente ?

Il n’existe pas, à proprement parler de classification stricte pour la littérature adolescente. La littérature jeunes adultes en fait partie, mais certains livres jeunesse également. Pourtant, même dans les livres pour « jeunes adultes » (c’est quoi, c’est qui ? Personnellement j’en suis une, mais, ayant lu le Marquis de Sade, je trouve que ce type de littérature reste malgré tout très sage, très enfantine), le sexe est peu ou pas abordé.

Lorsque c’est le cas, la sexualité des personnages, et particulièrement des jeunes filles, est souvent montré de telle manière : l’héroïne est amoureuse. Elle sort avec le héros. Elle attend un peu pour passer à l’acte parce qu’elle n’est pas ce genre de fille et en plus, elle est vierge, donc il faut être SURE. Puis elle couche avec le garçon qu’elle aime depuis toujours et passe le reste de sa vie avec lui.

Vous voulez un exemple parfait ? L’été où je suis devenue jolie, de Jenny Han (j’avais adoré le tome 1 pourtant L ). L’histoire : Belly (prénom tout pourri, je vous l’accorde) passe tous ces étés avec sa mère et son frère, dans la maison de vacances de la meilleure amie de sa mère, qui a deux fils d’un et deux ans de plus qu’elle, Jeremiah (prénom trop badass) et Conrad (mec, ton prénom commence par « con », perso je le vivrais mal). Jeremiah est son meilleur poto depuis l’enfance mais Conrad l’a toujours snobée, alors qu’elle, elle l’a toujours aimé, jusqu’au jour où elle devient jolie (transition vers l’âge adulte, tout ça). Et c’est là que ça devient marrant, puisqu’elle se rend compte que les deux jeunes hommes sont en train de tomber amoureux d’elle.

Loin de moi l’idée de vous spoiler le livre, mais j’en ai besoin pour mon argumentation. Il se trouve que Belly sort dans le premier tome avec Concon (déso mec), qui finit par se rétracter dans le tome 2, la faisant atrocement souffrir pendant tout le tome, puis dans le tome 3, deux ans après, on apprend qu’elle s’est mise avec Jeremiah. Et pendant ces deux ans, ils sont à l’université, elle ne couche pas avec lui. Le mec la trompe avec une autre (oui, le message bien dégueu au passage : couche avec ton mec sinon il ira voir ailleurs) et ensuite, ils se réconcilient en décidant de se marier. OKAY. Finalement, tu t’en doutes, Conrad revient éploré et elle finit avec lui. Avec tout ça, y’aura à peine eu un petit bisou d’amour. NO SEX, mais le message est assez clair, car c’est avec Conrad qu’elle perdra sa virginité (on lui souhaite en tout cas, sauf si elle est asexuelle mais j’en doute).

Bon, analysons tout cela au frais. Nous avons là l’héroïne d’un bouquin qui sera lu par plein d’adolescentes. Quel est le message ? Si tu veux faire l’amour, sois sûre que ce soit avec l’homme (et pas la femme, hein, faudrait pas trop déconner non plus) avec qui tu feras toute ta vie et surtout, celui que tu aimes depuis toujours (et si y’en a pas, je sais pas, fais quelque chose, ou reste seule toute ta vie, ma fille).

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Excusez-moi, j’ai un peu vomi L Encore une fois, le fait de vouloir faire l’amour pour la première fois dans ces conditions n’est absolument pas un problème. En revanche, faire passer ce message comme étant le seul valable dans un bouquin à l’encontre des jeunes filles, c’est un peu plus problématique.

Énormément de bouquins pour ados traitent le sujet de cette manière, quand ils le traitent. L’absence de sexe dans cette littérature pourrait également faire l’objet d’un long article, mais je m’égare.

Comment est-ce traité dans Quatre filles… ?

Tu t’en doutes, mais c’est bien différent de ce que l’on peut trouver généralement. Déjà, premier point, chaque fille a une histoire différente, avec un message différent :

– La première a faire l’amour pour la première fois est Bridget. Il faut savoir que Bee est la plus décontractée des quatre filles. Elle fait globalement ce qu’elle veut, sans tabou. Un mec lui plait, elle couche avec lui et youpi. Elle perd sa virginité avec Eric, un gars de son camp de foot, plus âgé qu’elle, alors qu’elle a à peine seize ans. Le gars culpabilise d’avoir couché avec une fille si jeune, et elle lui dit, en gros « c’est bon, pète un coup, c’est mon choix ». Puis leurs chemins se sépare (pour se retrouver deux ans après mais bon, ça c’est pas très grave parce que c’est pas montré comme tel, et là on n’en savait rien).

– Vient ensuite Tibby (ma préférée <3), qui est l’un des personnages à avoir le plus évolué dans l’histoire (d’après moi). Bon, en revanche, elle est celle qui a un passage à l’acte le plus proche de celui abordé tout à l’heure : elle couche pour la première fois avec Brian, son petit ami forever (oui) sauf que le préservatif casse et qu’elle passe la moitié de l’été à paniquer parce qu’elle a peur de tomber enceinte. Alors au début, j’ai pensé que le message de l’auteur était « ne fait pas l’amour si c’est pour pas avoir de gamins, le sexe c’est mal », d’autant que la question de l’avortement est bizarrement abordée. J’aurais trouvé plus intéressant que Tibby soit obligée d’avorter, ou du moins soit confronté à cette réalité. Cela dit, je suis revenue sur cette interprétation pour la simple et bonne raison que finalement, Tibby et Brian finissent par refaire l’amour et que c’est cool, d’autant que d’autres personnages de l’histoire ont une sexualité épanouie tout en étant mineurs ou sans être mariés (Bee, Effie…).

– Lena est la troisième, et à mon sens, le traitement le plus intéressant du sujet. Il est un fait admis que Lena est amoureuse de Kostos depuis le tome 1, mais leur histoire est un peu pourrie. Dans le tome 3, Lena a un crush pour un mec de son école d’art (dont j’ai oublié le nom, mais il est si cool !). Ils se rapprochent, elle pose nue pour lui (au passage, Lena est super pudique, et c’est un passage très important de l’histoire je trouve) et ensuite, elle couche avec lui. Puis voilà, c’était sympa, adios.

OUI ! *_* On peut coucher pour la première fois avec un type qui nous plait sur le moment puis passer à autre chose ! Merci Ann Brashares ! Je crois que je ne m’en remettrai jamais tellement c’est parfait !

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Danse de la joie!
– Concernant Carmen, ce n’est pas inintéressant non plus, puisque Carmen reste vierge tout au long des quatre tomes. On sait que Carmen est catholique, et son choix est peut-être lié à sa religion, mais en fait on n’en sait rien. Toujours est-il que c’est son choix, et je trouve ça également très important de montrer qu’on peut choisir de ne pas le faire. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, c’est important aussi de pouvoir envoyer le message : ne le faites pas si vous ne voulez pas. Ou faites le. Avec qui vous voulez. Quoi qu’il arrive, faites ce qui vous plait.

 2. Ce qui gâche un peu mon bonheur

Je sais, c’est pas très cool de descendre un livre aussi parfait, mais il le faut. Je ne pouvais pas terminer cet article sans faire remarquer le point très noir de Quatre filles…, qui rejoint pour le coup la majorité des autres livres de ce type.

L’hétérosexualité.

Toutes les filles du livre, et beaucoup d’héroïnes de romans pour jeunes adultes sont hétérosexuelles. Lorsqu’il y a des personnages homosexuels, ce sont généralement des hommes, et pas les héros (petite exception pour l’excellent Quatre filles et quatre garçons <3) Quant aux personnages bisexuels, je n’en ai à ce jour jamais rencontrés dans les ouvrages que je lisais.

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Eh si.
La faute très certainement aux maisons d’éditions, frileuses sur le sujet, sauf si le livre traite explicitement d’homophobie. Mais je trouve quand même cela très agaçant.

Évidemment, d’autres critiques peuvent être apportées à Quatre filles…, mais elles ne sont pas explicitement en rapport avec le thème de cette analyse.

 

Bref, je n’ai rien de plus à ajouter à part : désacralisons la virginité ! Publions des livres dans lesquels toute une ribambelle de choix sont possibles concernant la première fois, mais arrêtons de faire comme si c’était quelque chose de précieux ! On n’ « offre » pas sa virginité, bordel de slurk ! Chaque première fois, avec chaque nouvelle personne, est unique. Ou pas ! Faites ce que vous voulez !

Et puis peut-être que mon prochain article traitera de la sexualité en général dans les livres pour jeunes adultes. Parce que c’est un sujet sur lequel il y a également beaucoup de choses à dire !

L.M.F

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